Les Salasses, la conquête romaine et les invasions barbares

Les premiers hommes pénétrèrent en Vallée d’Aoste à l’époque néolithique. Le pays fut ensuite occupé par les Celtes qui se mêlèrent aux anciens habitants donnant origine pendant l’âge de bronze au peuple des Salasses.
143 av. J-C Les Romains, attirés par une région de passage vers les Gaules et l’Allemagne, attaquèrent les Salasses qui, contre toute attente battirent les légions du général Appius Claudius. En 23 av. J-C l’empereur Auguste parvint à les soumettre définitivement. Les conquérants fondèrent la ville d’Aoste, appelée Augusta Prætoria Salassorum qui devint le plus grand castrum des Alpes.
L’effondrement de l’empire romain d’occident, en 476, fut suivi d’un siècle d’anarchie pendant lequel Burgondes, Goths et Byzantins se disputèrent la Vallée d’Aoste.
575 Les Lombards durent céder la Vallée d’Aoste à Gontrand qui la réunit à son royaume mérovingien. La région, qui resta rattachée au pays des Francs jusqu’au traité de Verdun (843), entra alors dans l’aire politique et culturelle gallo-romaine, dont elle ne sortira qu’avec la création du Royaume d’Italie en 1861. Avec la décadence des Carolingiens le contrôle de la région passe dans les mains de nombreuses seigneuries féodales parmi lesquelles, à partir du XI siècle, la famille de Savoie.

L’arrivée des Savoie et la Charte des Franchises

1032 Umberto di Biancamano porte le titre de comte d’Aoste, en partageant les honneurs avec l’Évêque de la ville.
1191 Le comte Thomas de Savoie concède la Charte des Franchises aux habitants d’Aoste. Elle leur accordait le privilège de ne pas payer «… les tailles ou les contributions qui ne seraient pas consenties… » par les institutions locales. Sur ses Franchises se fondera pour une très longue période le rapport entre la Vallée d’Aoste et les Savoie: en échange de la fidelitas des valdôtains le comte promet de ne pas imposer des tributs sans leur consentement. Les successeurs de Thomas I les étendront à toute la vallée.

L’âge d’or

1416 La Vallée d’Aoste devient un Duché dont l’Assemblée des Trois États promulgue les lois. Elle entre alors dans sa période d’or qui durera jusqu’à la moitié du XVIe siècle. Ses cols alpins lui permettent en effet de devenir le croisement qui relie les centres plus importants de l’économie européenne de la renaissance: les riches villes de l’Italie et les grands ports flamands. Les grandes voitures de marchants qui montaient vers les marchés français ou des Flandres rendront cette région relativement riche et les échanges avec le Valais et la Savoie, plus faciles qu’avec le Piémont, déterminent la création d’une aire linguistique commune franco-provençale qui déborde des deux côtés des Alpes. Le précoce rattachement du Diocèse d’Aoste à l’archevêché de la Tarentaise (VIIIe siècle) est un autre signe de la facilité de communication transalpine qui pousse la Vallée d’Aoste vers la Savoie plutôt que vers la plaine du Po.
1436 Pendant les guerres d’Italie l’Assemblée des Trois États créa le Conseil de Commis et lui confia la tâche de gouverner le Pays avec le pouvoir de «ordonner, commander et fere, soit en mattière de finance, d’estat, politique et santé, ainsi et comme il jugera estre convenable, et principalement en mattière de guerre». Au même moment l’Assemblée prend deux autres décisions fondamentales pour le futur de la Vallée d’Aoste : elle décide de rester fidèle à la Maison de Savoie et à la foi catholique, refusant de se joindre aux cantons protestants suisses, comme le demandait une partie de la population.
Pour sauvegarder le Pays au milieu du marasme causé en Europe par les guerres, les institutions valdôtaines exerceront les compétences propres d’un état souverain : la diplomatie et la défense. En avril 1537 la Vallée d’Aoste stipula un traité de neutralité avec la France, tandis qu’en 1554 elle se rapprocha du Valais pour en obtenir l’appui au cas où la France violerait l’accord. En même temps, dès 1536 une milice populaire est créée pour défendre la vallée. Jusqu’en 1663 la Vallée d’Aoste exercera un autre pouvoir régalien en battant sa propre monnaie.

Le déclin

Avec la moitié du XVIe siècle commence le déclin de la Vallée d’Aoste : la crise de l’économie italienne, le développement des voies maritimes du commerce international, la diffusion du calvinisme en Suisse entraînant la fermeture du col du Grand-Saint-Bernard sont à l’origine de la fin du succès des voies de commerce transalpines. La Vallée devient un cul de sac où s’affrontent les milices des états modernes. À ceci doit s’ajouter la petite ère glacière qui s’abattit sur les Alpes de 1570 à 1650, avec son corollaire de famine et de catastrophes naturelles rendant les cols alpins inaccessibles, et une épidémie de peste qui en 1630 extermina plus des deux tiers d’une population sous alimentée et durement éprouvée.

Particularisme et coutumier

1561 Après la guerre la Maison de Savoie accorda aux Valdôtains le privilège de garder leurs institutions. Toujours en contrepartie de la fidélité manifestée par la Vallée d’Aoste, le Duc sanctionna par des lettres patentes le particularisme de la vallée qui « …est une province séparée qui ne dépend de nos autres provinces deçà ni delà des monts, et qui a ses lois et ses impositions à part…».
1586 Le duc de Savoie accepte le monumental recueil (4.262 articles divisés en 6 livres) des lois et des coutumes de la Vallée d’Aoste, connu sous le nom de Coutumier. Le Pays n’avait jamais été soumis à la législation des autres états de Savoie mais l’absence de normes écrites commençait à créer de sérieux problèmes. On décida donc de les réviser et de les mettre par écrit. Le Coutumier restera la seule source de droit en Vallée d’Aoste jusqu’à la promulgation des Lois et Constitutions de 1770 et du Règlement particulier pour le Duché d’Aoste.

L’érosion de l’autonomie

1750 à 1773 La monarchie abolit progressivement les institutions qui avaient assuré l’autonomie valdôtaine en réformant les administrations communales, en arrêtant de convoquer l’Assemblée des Trois États et soutirant au Conseil des Commis toutes ses compétences. Cette véritable révolution constitutionnelle, un des événements capitaux de l’histoire valdôtaine, ne provoqua pas la réaction qu’on aurait pu s’attendre. La classe dirigeante en effet ne sut exprimer de son sein aucun mouvement de réaction et de réforme. Au contraire elle révéla comme la majorité de celle-ci était plus soucieuse du maintient de ses privilèges que du sort de la Petite Patrie. L’absence d’une classe politique capable de conduire le processus de modernisation et de réforme est une des limites principales de la Vallée d’Aoste du XVIIIe siècle.
À ce point il faut constater que, malgré une évolution qui pénalise le particularisme valdôtain en faveur d’un centralisme d’état qui caractérisera le règne de Savoie, la Vallée d’Aoste n’est pas jusque en 1860 le territoire d’une minorité ethnique ou nationale. Elle se situe seulement dans l’aire francophone du royaume de Piémont à côté de la Savoie. Le français y est la seule langue enseignée, celle dans laquelle sont rédigés tous les actes publics, la langue de l’église. C’est en somme la langue de la culture à côté des patois communément employés, qui sont d’ailleurs extrêmement proches aux parlers savoyards, à l’exception d’un dialecte germanique propre à la vallée de Gressoney.

Unification italienne et isolement valdôtain

Après la cession de la Savoie et de Nice à la France impériale, la Vallée d’Aoste reste le seul pays francophone du nouveau Royaume d’Italie. Après avoir été le cœur d’un petit état à cheval des Alpes, elle devient un petit territoire frontalier dans un vaste pays italophone. C’est à ce moment que le régionalisme commence à se structurer en mouvement critique envers l’état-nation, que ce soit en Vallée d’Aoste, en Sardaigne, mais aussi en Catalogne, aux Pays Basque ou en Bretagne. La demande d’autonomie à l’intérieur de l’état a été, en effet, une réponse au processus de construction de la nation qui se fondait sur l’homogénéité culturelle, le centralisme administratif et l’unification du marché. A la base de ces politiques on retrouve la conviction commune aux cercles libéraux et à ceux marxistes que la civilisation coïncide avec les nations les plus grandes. Les reliques du passé dans la langue, dans le culte ou dans la coutume étaient destinées à disparaître balayées par la marche du progrès. Tout ceci explique au moins en partie le mépris ou du moins le désintérêt pour les particularismes locaux et les minorités régionales. Les manifestations d’une différence culturelle étaient très vite considérées comme un manque de fidélité envers l’état, surtout si elles avaient lieu dans des zones frontalières.
Le régionalisme a donc été en partie une réaction défensive contre l’incessante action érosive de l’état central et du marché sur la langue, les valeurs et les formes sociétales régionales.

La question linguistique

La séparation de la Savoie suscita en Vallée d’Aoste un vif débat et la question linguistique est très vite devenue fondamentale. En effet en Italie était très forte l’idée qu’à l’unité politique devait correspondre une unité linguistique. Ainsi à partir de 1860 se succède de la part du pouvoir central toute une série de mesures visant à aligner la Vallée d’Aoste sur le plan linguistique au reste du pays. Ces mesures entraînent des réactions extrêmement vives émanant autant de notables laïques que de représentants du clergé catholique qui était alors très influent et fortement enraciné dans la population. La minorité valdôtaine se retrouve donc confrontée à un processus d’italianisation linguistique certes progressive, connaissant des moments forts et des périodes de détente, mais en tout cas continue et non dépourvue de succès relatif. La réaction la plus remarquable à l’italianisation forcée de la Vallée d’Aoste fut la création en 1909 par Anselme Réan et d’autres valdôtains de la Ligue valdôtaine pour la défense de la langue française, une association qui donna naissance à un mouvement tenace visant à sensibiliser et mobiliser l’opinion publique. La Ligue prendra l’initiative de nombreuses manifestations en faveur du français et publiera un bulletin de 1912 à 1926.
En 1919 la Ligue adressa au président du conseil et chef de la délégation italienne à la conférence de paix de Paris, Vittorio Emanuele Orlando, une pétition signée par 8.000 chefs de famille contenant différentes propositions ayant pour but de poser les bases de l’autonomie linguistique et administrative indispensable pour la vie tranquille, féconde et libre d’un peuple de 80.000 montagnards. Il faut remarquer qu’à la requête de l’autonomie linguistique s’ajoutait celle de l’autonomie administrative, car les rédacteurs de la pétition savaient bien qu’il était impensable de sauver le particularisme linguistique sans disposer d’un pouvoir décisionnel, du moins dans le domaine administratif.

Transformations économiques et sociales, émigration et immigration

À la fin du XIXe siècle la Vallée d’Aoste va vivre des transformations radicales sur le plan économique et social. Tout d’abord la politique libérale voulue par Cavour va déterminer la crise de l’industrie valdôtaine, représentée principalement par les secteurs miniers et métallurgiques. Industrie qui dans un contexte protectionniste avait rejoint de bons résultats qualitatifs et quantitatifs. Pour beaucoup de valdôtains l’émigration deviendra un choix obligé. La destination principale est la France et en particulier la périphérie parisienne (Levallois-Perret) où on dénombre au début de ce siècle entre dix et douze mille valdôtains.
Le cadre économique va changer radicalement dans les années 1910 avec l’utilisation de l’énergie électrique dans le secteur industriel. De nombreux groupes étrangers à la vallée (piémontais, lombardes) vont réaliser d’importantes infrastructures et s’installer dans la basse vallée. C’est le cas de la Cogne à Aoste, moderne usine sidérurgique dotée de hauts fourneaux électriques, la Soie et la Brambilla à Châtillon et Verrès qui opèreront dans le textile, et de la ILLSA de Pont-Saint-Martin qui produira des aciers spéciaux. Cette moderne industrialisation va déterminer de nombreux flux d’immigration du Piémont, des Vénéties et plus tard du sud de l’Italie, mais, paradoxalement, ne va pas arrêter l’émigration des valdôtains. En effet ces derniers feront l’objet de discrimination dans les embauches et seront délibérément boycottés par les dirigeants de ces entreprises qui leur préfèrent des ouvriers venant de l’extérieur.

Centralisation et italianisation forcée

En même temps la création de la province d’Aoste par Mussolini en 1927 va déterminer une nouvelle immigration : celle des fonctionnaires qui vont occuper tous les principaux postes de l’administration: « En 1927, de 20 fonctionnaires de la préfecture, deux seulement sont valdôtains ; en 1929 les dépendants de la province dépassent les 70, mais les employés valdôtains ne sont pas plus de dix, et aucun d’eux n’a une charge directive ».
On l’a vu, le régime italien évolue dans le sens d’une centralisation croissante qui culminera avec le triomphe de la dictature mussolinienne. Les coups portés au particularisme valdôtain sont de plus en plus nombreux, mais la phase qui s’amorce dans les années vingt apparaît marquée par une violence sans précédents, tant de la politique menée par Rome vis a vis de la Vallée d’Aoste que des réactions qu’elle suscite dans la région.

L’ethnocide fasciste

La période mussolinienne s’avéra cruciale et funeste pour la minorité valdôtaine. Il Duce continue la politique d’italianisation, mais d’une façon infiniment plus brutale et plus radicale qu’auparavant.

De nombreux chercheurs vont jusqu’à parler d’ethnocide et de linguicide pour qualifier l’action du fascisme qui entreprit d’extirper complètement la langue française de la vallée : le français dut disparaître des écoles, du cadastre, des registres municipaux, des enseignes, des inscriptions publiques, des actes notariés… les écoles de hameau furent supprimées et on alla jusqu’à changer les noms des communes et des localités.
La presse se vit muselée et progressivement italianisée. Pour l’abbé Trèves la Vallée d’Aoste était entrée dans une période de “ténèbres”, mais peu sont ceux qui en prennent conscience dès le début. Le régime, en effet, aura de solides bases dans la vallée comme dans toute la péninsule. La création de la Province d’Aoste en 1927 lui valut même un vaste consensus, tandis qu’en réalité le régime essayait de noyer le particularisme valdôtain en réunissant en une seule province la Vallée d’Aoste francophone (73 communes et 82.769 habitants) et le Canavais italophone et beaucoup plus peuplé (112 communes et 167.638 habitants).

C’est justement une position trop favorable au fascisme de la Ligue, et en particulier de son président Joseph Réan, à déterminer le mécontentement du milieu autonomiste.

La jeune Vallée d’Aoste

Dès le janvier 1923 Joseph-Marie Alliod fonda avec d’autres étudiants universitaires le Groupe valdôtain d’action régionaliste qui avait pour but de « organiser une résistance à l’envahissement progressif de l’italien au détriment du français », mais aussi « de grouper les jeunes afin de les préparer, de notre mieux, à la lutte inévitable et très prochaine, pour la conquête de nos libertés régionales ». Bien que cette initiative ait échoué, les idées qui la fondaient se retrouvent très tôt dans une nouvelle association qui naît en 1925 : La Jeune Vallée d’Aoste. Ses fondateurs, R. Coquillard, Émile Chanoux, l’abbé Trèves, Pierre-Samuel Gerbaz, lancent un appel pour la fondation d’un groupe d’action régionaliste sur la base d’un programme qui prévoit la défense à tout prix du français et la reconstruction de la Vallée d’Aoste en « région linguistiquement et administrativement autonome ».
C’est parmi cette élite restreinte que se développe l’élaboration théorique et politique sur le futur de la Vallée d’Aoste. Particulièrement significative à ce sujet cette lettre datant du 20 juillet 1931 de Trèves à l’abbé Gorret, où, dans le cadre du fédéralisme, apparaît la notion d’état valdôtain: « Daigne le seigneur aider et bénir les bons, afin que, reprenant l’idée si juste de leurs pères vénérés, ils parviennent à donner à toute cette mosaïque de peuples divers et de races différentes ce régime -type suisse- de république fédérative, soit des États Unis Confédérés d’Italie, qui est l’unique qui soit juste et résolve les multiples problèmes insolubles par ailleurs qui, depuis cette unité brutale, divisent, épuisent, ruinent notre chère patrie. À ce fantôme vain de monarchie, funérailles de première classe. La Maison de Savoie a toujours sacrifié la Vallée d’Aoste à ses intérêts et à ses ambitions et nous a continuellement dépouillés, ou assisté bêtement inerte à notre dépouillement à nu ! Donc, vive la fédération italienne avec notre état valdôtain fédéré, avec sa langue, ses droits, ses traditions, ses coutumes et ses mœurs, sa force et son honneur : Patria Augustae ! ». Ce sont justement le fédéralisme et l’état régional qui sont au centre de la réflexion d’Émile Chanoux qui deviendra le leader incontesté du mouvement autonomiste après la mort de l’abbé Trèves en 1941.

Chanoux et Chabod : deux perspectives opposées

Avec la guerre le sentiment de la population italienne envers le régime va changer inexorablement. C’est encore plus sensible en Vallée d’Aoste d’où en juin 1940 a débuté l’attaque contre cette France où des milliers de valdôtains ont trouvé hospitalité et travail. On passera de l’acceptation au détachement, puis à l’aversion et enfin, en 1943, à la résistance armée.
C’est dans ce contexte que le 19 décembre 1943 aura lieu le Convegno di Chivasso auquel participent des représentants de la Vallée d’Aoste (Chanoux et Page) et des vallées vaudoises (Mario Alberto Rollier, Giorgio Peyronel entre autres). Des positions différentes et parfois opposées se confrontèrent, et le résultat fut la Déclaration des représentants des populations alpines qui s’alignait sur la position de Rollier et proclamait que « un régime républicain fédéral à base régionale et cantonale était la seule garantie contre un retour de la dictature » et que « dans le cadre du prochain état italien les vallées alpines devaient avoir le droit de se constituer en communautés politico administratives autonomes de type cantonal ». Ce sont des affirmations significatives mais loin du programme politique de Chanoux, qui ne les considère que comme un minimum indispensable. Face à ces projets subversifs, les mouvements résistants italiens et les partis nationaux vont très vite prendre des contre mesures : la résistance valdôtaine ne recevra plus de financements ni d’armes et certains de ses chefs seront même arrêtés. Le but était d’exclure totalement les valdôtains des décisions militaires et d’assumer de l’extérieur le contrôle de la résistance régionale.
La partie italienne va aussi promouvoir une réponse politique en s’appuyant sur le professeur de Valsavarenche Federico Chabod. Ce dernier indiquera dans son mémorial La Vallée d’Aoste, l’Italie et la France, une série de concessions à faire à la Vallée d’Aoste sur le terrain administratif, linguistique et économique, mais son projet ne fait aucune allusion à une autonomie politique. Au contraire Chabod ne manque de souligner que « la Vallée d’Aoste, autonome du point de vue administratif, est, du point de vue politique, partie intégrante de l’état italien ». Toute référence à une organisation fédérale de la nouvelle république italienne est aussi absente.
Il faut remarque que le débat sur la Vallée d’Aoste n’était pas seulement politique, mais aussi économique. Le même Chabod souligne comme « La plus grande richesse de la Vallée d’Aoste est représentée par ses eaux, c’est à dire par son potentiel hydroélectrique. Mais cette richesse est telle tant que la région reste unie à l’Italie, c’est à dire unie politiquement à la plaine du Po et à ses centres industriels de Milan et Turin », tandis que le conte Marone alerta pendant l’été 1944 « les intérêts anglais de l’industrie en jetant l’anathème contre le séparatisme valdôtain qui priverait les industries de Milan de forces motrices ». En effet, à l’époque, la Vallée d’Aoste produisait 12% de l’énergie électrique italienne et alimentait pour 60 % les industries de Turin et de la Lombardie.
Sur le front opposé la situation, pendant ce temps, a profondément changé. Chanoux est mort le 18 mai 1944 dans les prisons fascistes et personne n’a la carrure pour en recueillir l’héritage politique et moral.

Mouvements sécessionnistes et rattachistes

Pendant l’été 1944 on sonda la disponibilité de la Suisse à accueillir la Vallée d’Aoste comme nouveau canton de la Confédération. La proposition fut catégoriquement rejetée par les Suisses et beaucoup d’espoirs se tournèrent alors vers la France. On commença à parler sérieusement de rattachement à la France dès le moi d’août 1944 et le Comité Valdôtain de Libération prit contact avec les plus hauts responsables politiques et militaires français. Une mission politique, la Mission Mont Blanc, et des unités de l’armée française stationnèrent même en Vallée d’Aoste tandis que la situation devenait de plus en plus tendue, mais le 7 mai 1945, suite à l’ultimatum du président Truman, De Gaulle dut faire machine arrière et rappeler ses troupes.

Les décrets sur l’autonomie

Le 26 août 1946, dans le salon ducal de l’Hôtel de Ville, Federico Chabod présente le texte des décrets sur l’autonomie valdôtaine votés par le conseil des ministres les 9 et 17 août (ils seront promulgués par le Lieutenant général du Royaume, Humbert de Savoie, le 7 septembre 1945 : n. 545, Ordinamento amministrativo della Valle d’Aosta, et n. 546, Agevolazioni di ordine economico e tributario a favore della Valle d’Aosta). À cette même date la Vallée d’Aoste fut constituée en circonscription autonome. Ces décrets ne répondent pas aux aspirations des valdôtains et leur contenu se détache sensiblement non seulement des principes affirmés par la Déclaration de Chivasso, mais aussi des autres projets rédigés par Chabod, par Monseigneur Stévenin, et même du projet de la commission interministérielle nommée par le gouvernement.

L’Union Valdôtaine

Les manifestations de mécontentement vont très vite s’étendre à toute la vallée. C’est dans ce contexte que le 13 septembre naquit l’Union Valdôtaine, qui avait pour but « de promouvoir et de défendre tous les intérêts de la Vallée d’Aoste et des Valdôtains » (art. 1 du statut). Pour l’Union le pouvoir d’autogouvernement attribué à la Région par les deux décrets était trop faible et sa ligne était claire : seulement une garantie internationale (comme celle qui avait été concédée au Trentino Alto Adige) aurait pu sauvegarder efficacement les droits des valdôtains. L’Union rassembla au début de son activité des autonomistes de toutes tendances politiques qui se rattachaient à l’idéal du martyr de la résistance Émile Chanoux. Les membres de son Comité provisoire étaient en effet : Albert Deffeyes, Lino Binel, Paul-Alphonse Farinet, Ernest Page, Victor Rosset, Mgr Joconde Stévenin, Robert Berton, Amédée Berthod, Félix Ollietti, Séverin Caveri, Maria Ida Viglino, Flavien Arbaney et Aimé Berthet.
Une année après, le 18 juillet 1946, elle se donna ses premiers organes de direction régulièrement élus. Le premier président du Mouvement fut Séverin Caveri, et Albert Deffeyes fut son adjoint. Dans cette période l’Union organisa d’imposantes manifestations populaires à Pont-Saint-Martin, à Morgex et à Aoste, afin de soutenir les revendications valdôtaines. Les points marquants de son programme étaient :
1. Un régime cantonal de type suisse ;
2. Une zone franche totale et permanente ;
3. L’institution d’un domaine régional valdôtain comprenant les eaux, les mines et le sous-sol ;
4. La garantie internationale des droits du peuple valdôtain.
Avec le temps l’aspect du Mouvement s’est graduellement modifié : il est devenu plus spécifiquement politique, et a choisi d’agir directement au sein des institutions, tout en maintenant comme objectif principal de son action la défense de la minorité ethnique et linguistique valdôtaine.

La colère gronde

Malgré les protestations de la population les décrets sur l’autonomie entrèrent en vigueur le 1er janvier 1946 et les partis membres du Comité de Libération Nationale nommèrent les 25 membres du premier Conseil de la Vallée. Chabod en sera le président. Il choisira une ligne de conduite dure et intransigeante qui portera à une fracture au sein du Conseil dès le 7 mars, quand il refusera d’inscrire à l’ordre du jour une motion présentée par cinq conseillers (Page, Cuaz, Arbaney, Binel, Viglino) dans laquelle le Conseil exprimait « son adhésion pleine et entière au principe d’une garantie internationale au sujet des droits du peuple valdôtain ». Chabod repoussa nettement n’importe quelle hypothèse de garantie internationale et exclut même la possibilité que le conseil puisse délibérer en la matière. La situation devint de plus en plus tendue et le 26 mars la Vallée d’Aoste connut la plus grande manifestation populaire de son histoire au cri de « Vive la Vallée d’Aoste libre ». Beaucoup de manifestants seront arrêtés tandis que des mandats d’arrêt seront émis contre Ida Viglino et d’autres responsables politiques. Chabod demanda même l’envoi dans la région d’une unité de l’armée dotée de canons et la mutation de tous les carabiniers valdôtains en Sicile car il les jugeait peu fiables.

La conférence de paix et la fin de l’illusion d’une garantie internationale

Peu de temps après s’ouvre à Paris la Conférence de paix, mais, malgré les appels de l’Union Valdôtaine et du Comité d’action des émigrés valdôtains à Paris, et les contacts pris avec de nombreuses délégations dont celles Belge et Néo-Zélandaise, la question d’une garantie internationale pour la Vallée d’Aoste n’est pas soulevée.

Le Statut Spécial d’Autonomie

En même temps en Vallée d’Aoste, Chabod, en mauvaise santé, présente sa démission. Le nouveau Conseil Régional se chargea, alors, d’élaborer un projet de statut à soumettre à l’Assemblée Constituante élue en 1946. Elle approuva un texte fédéraliste fortement autonomiste qui, et c’est là son trait le plus important, attribuait expressément certaines compétences à l’état pour réserver tous les pouvoirs résiduels à la région (art. 5). Ce projet, en somme, prévoyait une vallée vraiment autonome, propriétaire de ses eaux, de ses mines, de ses biens domaniaux, avec deux langues officielles, des contrôles limités de la part de l’état et de vastes garanties. Malheureusement la volonté du gouvernement central ne s’accorda pas avec celle des valdôtains. À Rome l’Assemblée constituante rédigea une autre ébauche de statut qui fut votée le 31 janvier 1948. Son contenu n’avait rien à voir avec le projet adopté par le Conseil de la Vallée. En particulier les articles sur les eaux furent vidés de leur sens et l’art. 5 fut inverti avec l’indication des compétences régionales.
Une fois encore les Valdôtains s’étaient présentés à la confrontation avec l’état italien divisés et sans un chef sur et reconnu.