C’est avec une vive émotion que l’équipe de la Fondation Chanoux a appris le décès du comte Ferdinand Kinsky, dont l’exemple et la culture restent un souvenir inoubliable pour les anciens du Collège d’Études fédéralistes d’Aoste.
Nous tenons à adresser au CIFE toute notre compassion et nos plus sincères condoléances à sa famille et à saluer la mémoire du comte Kinsky et son dévouement aux idéaux fédéralistes qui nous unissent au-delà des frontières.
Vous pouvez lire ci-dessous une notice nécrologique rédigée par Claude Nigoul, ancien directeur de l’Institut européen des hautes études internationales, collègue et ami de Ferdinand Kinsky.
En mémoire de Ferdinand Kinsky
Nous avons la tristesse de vous informer du décès de notre ami Ferdinand Kinsky, survenu à Vienne (Autriche) le dimanche 22 novembre des suites de la covid 19.
Après des études de science politique et de sociologie à l’université de Munich puis à celle de Francfort (ou il avait été l’élève d’Adorno, ce dont il tirait une grande fierté), Ferdinand avait rejoint le CIFE en 1964, à la suite de sa rencontre avec Alexandre Marc, lors d’un stage de formation européenne organisé par celui-ci. Dès l’année suivante, il rejoignait Nice où venait d’être créé l’Institut européen des hautes études internationales dont il sera, jusqu’à sa retraite, un des enseignants réguliers et des principaux animateurs. Invité en 1969 comme professeur associé à l’université de l’Indiana, il allait, à son retour, accéder à la direction générale du CIFE à la demande d’Alexandre Marc qui l’avait choisi pour lui succéder. Dans ce poste qu’il occupa pendant prés d’un quart de siècle, il s’attacha inlassablement à développer le CIFE et à consolider les liens naturels établis, depuis l’origine de l’organisme en 1954, avec les institutions européennes. Il s’employa en particulier à renforcer la coopération avec l’Allemagne et à faire entrer le CIFE dans le cercle restreint des établissements d’enseignement supérieur reconnus par Bruxelles et bénéficiant, à ce titre, du soutien régulier de la Commission européenne. Au cours de cette période marquée par les événements considérables que furent l’effondrement du communisme soviétique, la chute du mur de Berlin et la libération des pays d’Europe centrale et orientale, il eut la grande joie de pouvoir revenir en République tchèque, et à Horazdovice, berceau de sa famille et où il était né. Nommé professeur à l’université d’Europe centrale à Prague, il continua néanmoins à occuper ses fonctions à la tête du CIFE et à y dispenser ses enseignements centrés sur la construction européenne et le fédéralisme personnaliste.
Mais Ferdinand était bien plus qu’un dirigeant responsable et un enseignant écouté, et l’amitié prescrit maintenant de rendre hommage à l’homme qu’il fut ou, plus exactement, à la personne que tout au long de sa vie, il s’est attaché à devenir.
Ferdinand était européen et fédéraliste
Européen, il l’était de conviction, et les nombreux livres et articles qu’il a consacrés aux péripéties de l’aventure d’une unité européenne toujours à construire en témoignent abondamment.
Mais, avant tout, il l’était de constitution.
Ferdinand, comte Kinsky von Wchinitz und Tettau, était un aristocrate. Et de la plus haute et plus ancienne lignée. Ses quartiers de noblesse remontent à la nuit des temps et sa famille, dès le XIIe siècle, n’a cessé de marquer l’histoire européenne, du Royaume de Bohème à l’ Empire austro-hongrois en passant par le Saint Empire romain germanique. Politiquement d’abord, mais aussi culturellement, et il aimait rappeler qu’elle avait été protectrice de Beethoven ou que son aïeule, Bertha von Suttner, née Kinsky, avait été la première femme prix Nobel de la Paix. Difficile, avec une telle hérédité, de ne pas prôner une unité dont la longue théorie des générations précédentes avait été témoin et acteur. Mais à ce patrimoine déterminant, les tragédies du XXe siècle allaient apporter la vérification d’une expérience charnelle. Fuyant nazisme et communisme, Ferdinand connut trois passeports : le tchèque, l’allemand et l’autrichien, et son cœur ne pouvait que balancer entre ces trois allégeances auxquelles vint s’ajouter celle de la France acquise par les quarante cinq années de sa vie qu’il avait passées à Nice avec son épouse, Edwige von Ballestrem, et leurs enfants.
Fédéraliste, il le devint par sa rencontre avec Alexandre Marc. Dans l’enseignement de la doctrine du fédéralisme global qu’il en reçut, il avait trouvé une réponse à ses deux préoccupations politique et sociale majeures : celle d’une Europe réalisant le rêve impérial de l’unité et de la diversité, et celle de son incarnation dans une société plus libre et plus juste. Car il ne correspondait nullement à la caricature convenue de l’aristocrate telle que la pensée dominante s’est, depuis longtemps, attachée à dessiner les traits : il avait en lui un profond et sincère désir de justice et de protection des plus faibles qu’il puisait, notamment, dans sa foi catholique pratiquée et assumée même si, parfois, dissidente. Avant tout, il se voulait personnaliste, trouvant dans le fédéralisme l’équilibre nécessaire entre la tradition et la modernité, l’engagement au service de ses convictions et le dépassement dans la quête du perfectionnement.
Cela se traduisait – et tous ceux qui l’ont approché ou, mieux encore, connu en amitié – peuvent en témoigner, par un ensemble de ces qualités que l’on appelle humaines et que sont l’affabilité, la modestie, la disponibilité au service des autres et, aussi, le sens du sacrifice.
Ferdinand était un aristocrate : aristocrate du cœur ; aristocrate de l’esprit
Qu’il repose en paix, lui qui avait connu l’épreuve terrible de la perte de deux de ses enfants mais qui, à la lumière de sa foi, considérait la mort comme une re-naissance.
Claude Nigoul