Les pages de Chanoux respirent le courage, l’amour pour sa patrie et la détermination à trouver une solution qui permette à la fois l’épanouissement des Valdôtains en tant que peuple et leur insertion dans un cadre international qui aurait renoncé à la guerre. Par sa stature d’intellectuel engagé et d’acteur déterminé il dépasse donc d’une tête tout ce que la Vallée avait produit jusque là et reste à ce jour largement inégalé.
Par delà le génie incontestable du patriote valdôtain, qui consiste avant tout dans la synthèse originale sur l’avenir de sa région, la question demeure cependant de savoir s’il existe encore une actualité de Chanoux et où éventuellement elle se retrouverait. Or, l’évaluation de cette actualité ne peut se passer d’une analyse plus fine de la pensée et de l’action chanousiennes.
La Fondation Chanoux a donc décidé de réaliser une étude en plusieurs parties qui se basera sur une approche de comparaison à la fois internationale et temporelle. Il s’agit de « mettre en situation » Chanoux, en analysant où il a pu puiser son inspiration. Purement intellectuelle, c’est l’objet de cette journée d’étude, mais aussi venant de son vécu quotidien. Ainsi, d’autres rencontres suivront sur le milieu dans lequel il évoluait, pour approfondir notamment l’aspect religieux, militaire et économique de la Vallée d’Aoste de son temps. Le tout, autant que faire se peut, avec un regard particulier porté sur la Suisse. Chanoux l’élit en effet en modèle et c’est cet État, qui semble se dresser comme un flambeau, qui le motive et le fait avancer même quand tout semble perdu aux heures plus sombres de la dictature fasciste. La Confédération constitue pour Chanoux en quelque sorte la Vallée d’Aoste telle qu’elle aurait pu être et telle qu’elle devait devenir. Liberté, traditions et efficacité, réunies dans une patrie alpine. Il ne désirait pas autre chose pour la Vallée d’Aoste, où il voyait en revanche la liberté mise à mal, voire supprimée, les traditions effacées de force ou oubliées, l’à-peu-près et un certain fatalisme sévir jusqu’à constituer parfois le lit de l’adhésion au fascisme des énergies les plus remuantes.
C’est donc sans surprise que cette première rencontre a au programme deux interventions sur la Suisse et une sur l’arc alpin.
Le dessin de Chanoux est de relever sa terre et ses habitants de l’abîme en lequel il les voit enfoncés. En ce sens, et cela ressort clairement, il n’a aucune confiance en l’Italie, en méprise, voire hait, le système fasciste centralisateur, les persécutions linguistiques qu’il a imposées, l’exploitation économique subie par la région, l’isolement auquel elle a été condamnée. Et il n’a pas vraiment l’espoir que cela puisse changer dans le fond, bien qu’il rédige un projet de réaménagement institutionnel en sens fédéral de l’Italie, qui, à soixante ans de l’approbation du Statut d’autonomie, est resté complètement ignoré. Ainsi peuvent s’expliquer les tensions séparatistes et l’attention particulière que Chanoux – Mme Vercelli-Rognoni le démontre bien – porte au fédéralisme intérieur avant même qu’à sa dimension européenne, qu’il cite certes, mais sans s’y attarder.
À ce tableau s’ajoutent deux autres sources de pensée probables pour Chanoux. Son expérience universitaire d’abord, qui le marqua certainement, puisque c’est dans le milieu des étudiants valdôtains à Turin qu’il imagine par exemple le « Cri de l’âme », et les tendances culturelles françaises, traversées par les non-conformistes – Chanoux aurait été lui-même en liaison avec Daniel-Rops – et par les occitanistes. Les deux courants sont certes différents entre eux, mais ils ont en commun le refus de l’homme abstrait et un retour aux « petites patries », à la personne de chair qui risque d’être déshumanisée par les changements tumultueux de la vie économique et politique qui se succèdent en Europe.
Peut-être le personnage européen qui représenta au mieux le croisement entre toutes ces fécondes pulsions fut Denis de Rougemont, suisse, fédéraliste, membre de L’Ordre Nouveau et auteur entre autres de La Suisse ou l’histoire d’un peuple heureux.
Il nous plaît de croire que telle aurait été l’histoire que Chanoux voulait écrire pour les Valdôtains.
La Journée d’études Contre l’état totalitaire. Aux sources de la pensée chanousienne s’est tenue à Aoste le 28 septembre 2007.
Programme
– Adresse de bienvenu
Laurent Viérin
Assesseur régional de l’éducation et de la culture
– Ouverture des travaux
Franco Cometto
Président de la Fondation Émile Chanoux
– La construction identitaire suisse
François Walter
Professeur d’histoire à la faculté des lettres de l’Université de Genève
– La pensée fédéraliste suisse
Nicolas Schmitt
Senior fellow researcher auprès de l’Institut du Fédéralisme de Fribourg
– Il pensiero federalista in Italia
Cinzia Rognoni Vercelli
Professeur d’histoire à la faculté des lettres de l’Université de Pavia.
– Les fédéralistes alpins
Pierre Brini
Chercheur à l’Université de Grenoble
– Mouvements régionalistes français
Philippe martel
Chercheur en sciences humaines et sociales au CNRS, chargé de cours à l’Université Paul Valéry de Montpellier
– Les non-conformistes des années Trente
Jean-Louis Loubet del Bayle
Politologue, professeur de sciences politiques à l’Université de Toulouse
– Il Laicato cattolico
Bartolo Gariglio
Historien, professeur à l’Université de Turin
– Identità culturali ed impegno politico: il contributo di Émile Chanoux al rinnovamento dello stato
Paolo Momigliano Levi
Historien, ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Résistance et de la société contemporaine en Vallée d’Aoste
Vous trouvez ci-dessous les plages audios intégrales des interventions des différents rapporteurs et le matériel distribué aux participants.
Documents
Documents distribués aux participants au colloque
Galerie photographique
Quelques images de la journée d’études organisée par la Fondation Émile Chanoux le 28 septembre 2007.